Le président de la République avait lui-même lancé l’opération au mois de mai, en remettant symboliquement leurs dus aux premiers bénéficiaires des transferts exceptionnels de 43 milliards de Cfa pour les 534 mille ménages. Près de 3 mois après ce début tonitruant, la Banque mondiale constate de nombreux couacs qui entravent la bonne marche des opérations.
Le projet avait été lancé à grand renfort de tintamarre le 10 mai dernier. Le président de la République avait convoqué le ban et l’arrière-ban de la République au Grand Théâtre, pour assister au lancement symbolique des opérations de transferts monétaires exceptionnels aux 534 mille ménages inscrits au Registre national unique (Rnu).
Cela représentait 43 milliards de francs Cfa qui devaient permettre à chaque ménage de récolter environ 80 mille francs Cfa chacun. Un grand soulagement pour les bénéficiaires, intervenant à la veille des élections législatives, ce qui avait permis à certains opposants politiques de subodorer une opération «d’achat des consciences». D’autres observateurs, plus pratiques, se demandaient juste par quelle magie le Grand argentier Abdoulaye Daouda Diallo avait pu mobiliser autant de ressources, en plus des efforts exceptionnels que les Finances devaient faire pour empêcher les prix des denrées alimentaires de continuer à flamber, dans un contexte marqué par le conflit entre la Russie et l’Occident sur le sol ukrainien.
A la fin du mois de juillet, la Banque mondiale, par sa représentation à Dakar, transmet aux autorités sénégalaises un Aide-mémoire produit par la mission d’appui à la mise en œuvre du Projet d’appui aux filets sociaux (Pafs), dans lequel on trouve la réponse aux questions relatives, notamment à l’argent décaissé pour ce concours exceptionnel. A la lecture du document, on apprend que les représentants de la Banque mondiale déplorent que l’opération de transfert d’argent ait connu des retards tels que près de 48% des bénéficiaires n’ont toujours pas perçu leurs fonds à la fin du mois de juillet. Et à ce jour, les choses ne se sont pas améliorées.
L’Aide-mémoire indique : «L’opération de paiement des transferts aux bénéficiaires qui a débuté mi-mai, a accusé des retards dans la mise en œuvre. Après le démarrage des opérations de paiement dans les régions de Thiès, Diourbel et Fatick à la mi-mai, la mise en œuvre des paiements a connu un coup d’arrêt avant de reprendre fin juin à Dakar et Kaffrine, puis début juillet à Matam, Saint-Louis, Kolda et Louga.»
Près de 48% n’ont pas perçu leurs fonds
Si la Banque mondiale parle de retards dus, entre autres, au lancement de la campagne électorale pour les Législatives, du fait que les autorités de l’Etat auraient été occupées à battre campagne, les pouvoirs publics, à leur niveau, veulent faire comprendre que les problèmes incomberaient plutôt aux opérateurs chargés d’exécuter les opérations sur le terrain.
Le chargé de Communication du ministère du Développement communautaire et de l’équité sociale assure que «le registre a été stabilisé et donné aux deux opérateurs chargés des opérations de transfert. Ce sont eux qui se chargent de positionner l’argent sur les comptes des bénéficiaires». Pourquoi alors ces opérations n’ont pas encore démarré dans des régions comme Kaolack, Tambacounda, Sédhiou, Ziguinchor et Kédougou ?
Les services de Samba Ndiobène Ka ne veulent surtout pas entendre dire que c’est parce que «le ministre n’a pas encore eu le temps d’aller lancer officiellement les opérations dans ces régions», comme l’ont déclaré des employés de la Délégation générale à la protection sociale et à la solidarité nationale. Le communicant du ministre Ndiobène Ka assure que «la cérémonie est juste une formalité, qui n’empêche pas le paiement de l’argent. Et les opérateurs de téléphone ont déjà reçu les sommes à payer».
En fait, beaucoup savent que les opérateurs choisis n’avaient pas non plus toutes les garanties financières et/ou l’expertise nécessaire pour accomplir une opération de cette envergure. Au ministère des Finances par exemple, on estime qu’«Orange Money serait en mesure de faire le travail s’ils y trouvaient leur compte. Mais Wizall a de nombreuses lacunes».
Au-delà des débats intragouvernementaux, la Banque mondiale a dû constater que son rêve de faire du Sénégal une zone-pilote pour lui permettre de dupliquer son projet de Cash transfert à travers la partie francophone du continent, est très loin d’être une réussite. Or, avec son Rnu plus ou moins bien maîtrisé, le Sénégal est l’un des rares pays africains où le «Cash transfer» à la Bretton Woods avait des chances de réussir. Malheureusement, les services de M. Nathan Belete vont être contraints de faire état des différents manquements qui freinent cette mise en œuvre. Et dont certains leur étaient pourtant connus avant de lancer l’opération.
Dire que dans l’esprit des haut-fonctionnaires internationaux, le «Cash transfer» était le modèle à suivre, contrairement aux opérations de distribution de denrées alimentaires telles qu’elles avaient été mises en œuvre au Sénégal dans le cadre des mesures d’atténuation des effets du Covid-19.
Pour cacher la vanité de leur entreprise, et tenter de diluer quelque peu l’échec de leur opération, les fonctionnaires de la Banque en viennent aujourd’hui à comparer leur «Cash transfer» aux Bourses de sécurité familiale, en déclarant qu’«aucun paiement n’a été effectué au titre de l’année 2022, et la région de Sédhiou cumule 5 retards de paiement dont les 4 trimestres de 2021». Sur ce point, la Délégation à la solidarité nationale et à la protection sociale dégage en touche… et regarde vers le ministère des Finances et du budget, ainsi que le ministère de tutelle, dirigé par Samba Ndiobène Ka.
Pour sa part, le haut-fonctionnaire qui pilote le projet Pafs, et qui est pourtant responsable de l’opération, préfère se muer dans le silence.