Fatou Guissé est une de ces sénégalaises qui ont pris leur courage à deux mains pour faire leur retour au Sénégal. Après de brillantes études dans le domaine du management et de la gestion commerciale, elle a travaillé pour de célèbres marques françaises. Elle a beaucoup voyagé et a beaucoup appris dans son domaine de compétence. Aujourd’hui, elle s’est établit au Sénégal et a mis en place sa propre entreprise.
Dans cet entretien exclusif accordé à Diaspora, elle alerte et avertit. Elle conseille, oriente et encourage ses compatriotes qui rêvent d’investir au pays.
- Un aperçu rapide sur votre cursus scolaire et universitaire
J’ai fait mon cursus scolaire à Dakar et après mon bac je suis partie étudier à Grenoble (université Pierre Mendès France). J’ai fait un DEUG Économie et Gestion (1ere et 2eme année) ensuite je me suis spécialisée en Master Management et Gestion commerciale (3ème et 4ème année), j’ai ensuite fait 1 an de spécialisation en Création d’entreprise (DUT).
- Vous avez fait plusieurs formations dans vos études supérieures, quel profil finalement vous avez, votre spécialité ?
En travaillant en parallèle avec mes études dès la 2ème année dans la vente, j’ai tout de suite découvert ma passion pour le commerce et le relationnel, ce qui m’a poussée à me spécialiser dans le management et la gestion commerciale. A la fin de mes études, j’ai eu la chance de tout de suite intégrer le grand groupe L’OREAL PARIS en tant que commercial terrain secteur parfumerie France.
Ce fut une expérience très enrichissante dans laquelle j’ai eu à apprendre rapidement à être dynamique, rigoureuse, opérationnelle et autonome. A travers cette expérience, je suis tout de suite montée en compétence et j’ai rapidement gagné en maturité au vu des responsabilités qui m’avaient été confiées. Tout s’est enchainé par la suite, j’ai très vite évolué aux postes respectives de Store Manager, Directrice de magasin, responsable régional en intégrant différents autres groupes français. Après plus de 12 ans D’expérience professionnelle, je suis revenue au Sénégal pour créer ma structure.
- Vous avez fait vos études en France, qu’est-ce qui vous a motivé votre choix pour partir après le bac.
A vrai dire je n’avais pas trop le choix vu que c’était mon père qui en avait décidé ainsi. À l’époque j’étais encore trop jeune pour prendre ce genre de décision toute seule …
- Quel regard portez-vous sur l’émigration de façon générale ?
J’ai un regard très positif de l’émigration. Personnellement, elle m’a permis d’avoir une ouverture au monde extérieur et de revenir non seulement avec un nouveau regard mais beaucoup plus constructif sur nos réalités socio-économiques et professionnelles. D’autre part, elle m’a aidé à apprendre l’école de la vie sans assistance familiale et de très vite gagner en autonomie et en maturité. Je me suis auto-responsabilisée.
- Beaucoup de compatriotes émigrés reviennent pour tenter d’investir au pays, et c’est souvent soldé par une déception, qu’est ce qui l’explique ?
Je pense qu’il n’y a pas mieux placé qu’un émigré pour comprendre les besoins et les exigences de nos compatriotes qui veulent revenir au pays. De quoi ont-ils besoin concrètement ? de stratégies d’accompagnement efficace et sur le long terme. Si les étrangers le réussissent facilement, je ne vois pas pourquoi nous autres, nous n’y arriverons pas !!!
Ensuite plusieurs paramètres sont à prendre en compte.
L’aspect social : J’ai remarqué que l’environnement social a beaucoup d’impact sur ce que j’appellerais « un retour au pays bien réussi ». Pour moi Il faut prévoir un temps d’adaptation pour le retour au pays de la même façon que l’on s’est donné ce temps lors de notre première année d’émigration. Cela doit aller dans les deux sens parce que paradoxalement nous revenons dans notre pays d’origine comme des étrangers et donc tout est à réapprendre. J’ai eu la chance d’avoir une famille qui m’a soutenue et accompagnée dans ma réinsertion sociale. Cela m’a permis de bien me concentrer sur mon projet et d’éviter de m’éloigner de mes objectifs.
L’aspect professionnel : On revient souvent avec un niveau professionnel assez élevé et des attentes beaucoup plus exigeantes en termes de services, de personnel qualifié, de productivité et de performances. C’est ce qui fait qu’on a même du mal à trouver les qualifications nécessaires sur le marché parfois même pour des postes très simples.
- Vous êtes au Sénégal depuis plusieurs mois, avez-vous décidé finalement de rester ?
Oui bien sûr. À la base, on ne part pas pour rester mais pour aller chercher des connaissances et acquérir de l’expérience dans le but de revenir contribuer à l’économie de notre pays. Ce n’est pas une fatalité de revenir dans son pays. Donc quelque soient les obstacles que l’on rencontre, à l’arrivée, cela ne doit pas nous détourner de notre objectif.
- Vous allez travailler concrètement dans quel domaine ?
Je viens de créer le cabinet Pro-Action Consulting qui propose des formations professionnelles sur mesures dans différents domaines (Accueil, force de vente, gestion de la relation client, management, etc…). Nous proposons également de l’accompagnement aux entreprises de la diaspora qui veulent venir s’installer au pays afin de mettre à leur disposition toutes les qualifications nécessaires pour développer correctement leurs activités. Nous travaillons avec plusieurs consultants (Sénior et expert dans leur domaine) issus de la Diaspora qui mettent à disposition toutes leurs compétences au service de nos clients.
Nos formations sont souvent ciblées et adaptés aux besoins de nos clients. Un diagnostic est préétabli par le consultant avant de proposer un programme de formation ou un plan d’action. Nous avons également des consultants spécialisés en industrie, production et gestion du risque, en finances et gestion du patrimoine, en comptabilité et paie et des consultants seniors en informatique, etc … Nous avons une large gamme de services de qualité dans le but de répondre aux mieux aux besoins de nos clients.
- Au Sénégal il est beaucoup question d’emploi et de formation. Pour vous, quelles réponses urgentes l’État peut-il donner ?
A mon avis, l’État doit jouer un rôle d’accompagnateur et de facilitateur. Il ne suffit pas juste de distribuer des financements ou du travail ; il faut plutôt donner aux jeunes les moyens nécessaires en termes de qualification pour qu’ils puissent eux même bâtir leur plan de carrière professionnelle. Il ne suffit pas seulement de créer de la richesse mais aussi de la cultiver et on ne peut pas cultiver de la richesse sur le long terme sans compétences professionnelles ni qualifications pour nos jeunes.
La majeure partie des jeunes entrent dans le monde du travail par la porte de « l’entrepreneuriat » sans avoir les moyens et les qualifications nécessaires pour assoir correctement leur structure et la pérenniser. Il n’y a pas de sous-métier mais on peut commencer au bas de l’échelle et évoluer pour atteindre notre objectif. Mais pour réussir à monter en compétence, il faut bien une qualification dès le début de sa carrière.
Il y a des métiers qui ne nécessitent pas de longues études, qui sont très faciles et rapidement accessibles aux jeunes. Ils constituent des moyens plus rapides pour mettre un pied dans le monde du travail et surtout permettre d’évoluer très vite si on est bien qualifié. Je prends l’exemple de la « vente », un domaine qui n’est pas vraiment considéré comme un vrai métier au Sénégal, donc très peu valorisé. En effet, la vente est souvent associée au « Baol Baol ».
Par conséquent, on considère souvent qu’on n’a pas besoin de qualification pour être un vendeur. Alors que si on avait rassemblé des efforts sur sa valorisation et ses perspectives d’évolutions, ce métier pourrait être une véritable passerelle qui mènerait à l’aboutissement d’une belle carrière professionnelle. Donc investir dans la formation professionnelle de tous ces « métiers basiques » très sollicités par les jeunes et qui constituent quelque part pour eux un « ticket d’entrée » dans le monde du travail devient plus que nécessaires pour constituer un vrai vivier de compétences professionnelles.
- Dans le domaine où vous intervenez, quels résultats avez-vous déjà obtenus ?
Il est encore peut-être prématuré de parler de résultats quantitatifs mais plutôt de résultats qualitatifs en tant que nouvelle structure. Nous avons accueilli sans attendre nos premiers clients sur nos formations professionnelles en accueil, gestion de la relation client, commercial terrain, Responsable de boutique et nous avons eu des retours assez positifs en termes de satisfaction client dans le sens où nous avons très vite réussi à fidéliser notre clientèle et recevoir de plus en plus de demandes dans ce domaine.
Nous nous sommes très vite rendu compte du besoin urgent des structures commerciales en termes de main d’œuvre qualifié sur les postes de commerciaux terrains, de vendeurs (ses), et de responsables de magasin, etc …. Au niveau de l’accompagnement, la demande se porte pour l’instant sur le suivi de performances des équipes, la mise en place de stratégies commerciales et de plans d’actions commerciaux, de stratégie de communication digitale et de merchandising. Je trouve que c’est un très bon début.
- Quels conseils donneriez-vous aux jeunes émigrés ou à ceux qui veulent venir investir au Sénégal ?
Dès les 1ères semaines sur le terrain, j’ai tout de suite remarqué cet énorme décalage entre le niveau d’exigence très élevé de nos compatriotes qui reviennent pour investir et les compétences qu’ils trouvent surplace. Donc pour éviter le « fatal faux départ » qui a tendance à vous faire perdre énormément de temps et d’argent, qui décourage vite, il est plus sûr de capitaliser sur la main d’œuvre qualifiée. A ceux qui pensent faire des économies en faisant appel à de la main d’œuvre non qualifié, j’ai juste envie de leur dire Attention ! Le « pas cher » fini toujours par couter « trop cher ». Donc mon conseil le plus précieux serait de vivement les encourager à investir dans la formation professionnelle de leurs équipes et de les faire grandir, mais aussi faire la part des choses entre relations familiales et relations professionnelles.
Entretien réalisé par M. THIANE
Bel article