Léopold se meurt. Abandonné à son sort depuis bientôt quatre ans, le mythique stade est méconnaissable. Sur place, un gendarme filtre toutes les entrées. Il faut laisser sa pièce d’identité pour accéder à l’intérieur, après avoir décliné le motif de la visite. En dehors de l’architecture qui montre qu’on est dans un lieu qui abrite des compétitions sportives, on se serait cru dans une caserne ou un camp d’entrainement pour des militaires. A la place des sifflets des arbitres, il y a plutôt les hurlements des ambulances et autres véhicules d’intervention des sapeurs-pompiers, les sirènes des motards de la gendarmerie nationale… Comme dans un exercice de simulation !
Sur l’aile gauche de l’infrastructure sportive, un groupe de gendarmes effectue tranquillement ses séances d’entrainement, juste en face de l’entrée qui mène au Centre de développement de l’athlétisme africain (AACD). Dans ce centre, la bonne tenue des murs et des dépendances contraste d’avec l’état de délabrement très avancé de certaines parties du stade. Entre les herbes mortes et arbustes qui poussent à tous les coins, les portes rouillées des tribunes, les tas d’ordures et les murs qui menacent ruine… le stade est dans un état piteux. Ici, le silence semble être érigé en règle par les quelques âmes qui y trainent, en cette matinée de jeudi 6 mai 2021.
Il est presque 12 h. Léopold Sédar Senghor est presque vide. Seuls quelques administratifs, muets comme des carpes, occupent encore les lieux où le gazon passe de plus en plus du vert à une couleur jaunâtre, presque morte. A l’étage, le visiteur est surtout frappé par l’odeur nauséabonde des toilettes qui semblent être restées des lustres sans coup de balai. Un décor hideux où se mêlent des déchets de toutes sortes sur un carrelage noirâtre, des murs recouverts de poussière qui ont besoin d’un sérieux coup de peinture pour retrouver leur éclat. Le stade Léopold Sédar Senghor est simplement méconnaissable.
Fermé depuis 2018, le temple du football attend, depuis lors, les Chinois qui doivent le réfectionner. A l’époque, une convention avait été signée entre les deux Etats, pour non seulement rénover Léopold, mais aussi trois autres stades régionaux. Vingt milliards ont ainsi été annoncés rien que pour l’ex-stade de l’Amitié.
Depuis, plusieurs dates ont été avancées pour le démarrage des travaux : juin 2019, décembre 2020 et enfin janvier 2021. Mais jusque-là, c’est le désert sur place.
Des champions sans domicile fixe
De l’autre côté de la capitale, au stade Demba Diop, l’atmosphère est un peu semblable. Depuis 2017, à la suite des affrontements entre des supporters de l’US Ouakam et du Stade de Mbour qui avaient occasionné huit morts, le ballon rond ne roule plus. Les nombreux clubs de la capitale qui se relayaient sur la pelouse sont ainsi obligés d’aller voir ailleurs, de faire le pied de grue de stade en stade.
Trouvé dans son bureau, le secrétaire général de la ligue de Dakar, Léonard Diagne, s’apprête à se rendre à Guédiawaye pour assister au match de son club, le Jaraaf de Dakar. ‘’C’est désolant, c’est une situation très difficile qui impacte les clubs. Mais c’est comme ça. On fait avec’’, lance-t-il avant de s’excuser.
Du côté des supporters, c’est surtout le découragement et la résignation. Membre du bureau de NGB (Niary Tally), Thiakas exprime son amertume : ‘’Au-delà de notre équipe, nous sommes désolés et inquiets pour le football sénégalais. Il faut savoir que Demba Diop est le cœur du football à Dakar. Même quand il n’y avait pas match, on se rencontrait là-bas pour discuter. Mais ces rencontres n’existent plus. Les équipes ne peuvent même plus s’y entrainer. Il en est de même pour les petites catégories. C’est une situation extrêmement difficile.’’
La nostalgie des supporters
A cause de cette situation, c’est une cassure énorme entre le club et sa base affective. Contraints de se déplacer jusqu’à Guédiawaye ou Mbao, les supporters ne se bougent plus. D’habitude très assidu, Thiakas n’a, cette année, assisté à aucun match. Il explique : ‘’L’année dernière, malgré les déplacements, je n’ai manqué aucun match. Mais cette année, pour dire vrai, je n’ai assisté à aucun match. Parce que c’est très difficile d’aller tout le temps jusqu’à Mbao ou Guédiawaye, avec les embouteillages et autres. C’est d’autant plus difficile que les performances sont devenues impossibles. Sans moyens, sans entrainements réguliers et sans public, on se bat, mais c’est difficile. Il est temps que les dirigeants du football prennent cette affaire à bras-le-corps pour éviter la mort du football à Dakar.’’
Obligés de jouer tous leurs matches à ‘’l’extérieur’’, les clubs de la capitale souffrent. En attestent les rangs de Gorée et de Niary Tally qui sont au bas du classement. ‘’On ne peut plus parler de réception pour les équipes de Dakar ; c’est une programmation. On nous impose là où on doit jouer : à Mbao ou à Ndiarème Limamoulaye. Dans les deux cas, nous ne sommes pas chez nous. Nous sommes à la même enseigne que ces équipes que nous sommes censés recevoir. Parfois même défavorisés. Imaginez, si on joue contre Pikine à Ndiarème ou à Mbao, qui reçoit qui ? Si les choses continuent comme ça, le foot va mourir à Dakar et ce serait dommage’’.
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